Sur l’agenda 12 mars 2017

  • Centre Pompidou

    À partir du 14 septembre 2016, le Centre Pompidou expose l’extraordinaire don de plus de deux cent cinquante œuvres soviétiques et russes contemporaines réunies avec le soutien exceptionnel de la Vladimir Potanin Foundation. Cet ensemble d’œuvres a pu être offert au Musée national d’art moderne grâce à la générosité de la Vladimir Potanin Foundation, des collectionneurs, des artistes et leurs familles. Inscrit dans une année 2016 placée sous le signe d’un hommage aux donateurs de tous horizons, ce projet rappelle l’importance cruciale de ces gestes engagés pour le développement des institutions patrimoniales. L’ensemble ainsi constitué, composé d’œuvres d’artistes majeurs, offre un panorama, sans prétention à l’exhaustivité, de quelques quarante années d’art contemporain en URSS puis en Russie, à travers les principaux mouvements qui les ont sillonnées.

    La présentation donne à voir la richesse d’un art né en marge du cadre officiel. Dès la fin des années 1950, les artistes « non conformistes », à l’instar de Francisco Infante, Vladimir Yakovlev ou Yuri Zlotnikov, stimulés par les expositions internationales permises par la politique khrouchtchévienne de « dégel », renouent avec les pratiques esthétiques des avant-gardes russes, elles-mêmes sources d’inspiration pour tant d’artistes occidentaux. Ils cherchent à inventer leur propre langage plastique. En 1962, la fermeture par Khrouchtchev de la salle non conformiste incluse dans la fameuse exposition du Manège (Moscou), bannit pour plusieurs années de l’espace public toute expression artistique contraire à la doctrine du réalisme socialiste qui, à partir des années 1930, a mis fin aux expérimentations modernes en URSS.

    Les années 1970 voient l’émergence de deux mouvements aux frontières poreuses. L’École conceptualiste moscovite prend une ampleur déterminante sous l’impulsion d’Ilya Kabakov, de Viktor Pivovarov, de Rimma et Valéry Gerlovin, suivis d’Andreï Monastyrsky et de Dmitri Prigov. Accordant une place prépondérante au langage, travaillant à la croisée de la poésie, de la performance et des arts visuels, ces artistes proposent dans la Moscou de la « Stagnation » un art conceptuel reflétant la primauté de la littérature dans la culture russe. Une seconde génération d’artistes rejoint la communauté conceptualiste à la fin des années 1970, comme le groupe Mukhomor, Yuri Albert, Mikhaïl Roshal, Viktor Skersis ou Vadim Zakharov.

    Concomitant du conceptualisme moscovite, le Sots art, inventé par le duo Komar et Melamid, détourne dans une veine pop les codes de la propagande soviétique. À la différence des artistes pop, confrontés à la surabondance de biens de consommations, Alexandre Kosolapov, Boris Orlov ou Leonid Sokov démythologisent l’environnement idéologique de la société soviétique. Courant fécond dont certains des protagonistes émigrent dès les années 1970, le Sots art marque fortement l’esthétique des années de la perestroïka, animant l’œuvre de différents artistes à l’instar de Grisha Bruskin.

    Au milieu des années 1980, l’avènement de la perestroïka provoque un véritable bouillonnement créatif, imprégné d’une culture underground, émanant de différents squats. Un fort pressentiment de liberté enivre alors les jeunes artistes : Sergei Anufriev, Andreï Filippov, Yuri Leiderman, Pavel Pepperstein ou le groupe Pertsy à Moscou, Sergei Bougaev-Afrika, Oleg Kotelnikov, Vladislav Mamyshev-Monroe ou Timur Novikov à Leningrad.

    La fin de la décennie est marquée par la légitimation de cet art né dans les marges. Les mécanismes du marché de l’art, encore inexistant, commencent à se mettre en place : en 1988, une première vente aux enchères organisée par Sotheby’s à Moscou, donne une valeur tangible à l’art non officiel. Très rapidement, les frontières avec l’art officiel disparaissent. Une nouvelle génération d’artistes s’affirme, incluant AES+F, Dmitri Gutov, Valéry Koshlyakov ou Oleg Kulik. À partir des années 2000, l’art contemporain s’institutionnalise et intègre peu à peu la culture nationale.

    Le Centre Pompidou tient à remercier la Vladimir Potanin Foundation. Il souhaite également rendre hommage à l’ensemble des donateurs, notamment Ekaterina et Vladimir Semenikhin et la Tsukanov Family Foundation, qui démontrent de façon exemplaire les vertus d’un effort collectif tendu vers les artistes et de leurs œuvres.

  • Théâtre Gérard Philipe

    Ivan Grigorievitch est libéré au lendemain de la mort de Staline. Après avoir passé trente ans dans les prisons, les camps et en relégation, témoin de l’extermination des koulaks ukrainiens et de la grande terreur stalinienne, il tente de comprendre l’âme de ce peuple esclave et bourreau qui a survécu aux deux grandes tragédies du XXe siècle. Tout passe est un long récit d’une vitalité saisissante, sans presque aucune péripétie. Son ressort essentiel se résume en une méditation âpre et prophétique sur la société soviétique. Prophétique parce que c’est aujourd’hui que résonnent et se comprennent, plus encore qu’hier, les paroles de l’auteur.
    Comme le souligne l’écrivain Daniel Rondeau : « Vassili Grossman, romancier russe né en 1905 dans l’une des capitales juives de l’Ukraine et mort à Moscou en 1964, aimait son peuple et sa mère. Son oeuvre rend compte du chant secret de ceux qui, dans la Russie stalinienne, croyaient encore que la liberté, la tendresse, la bonté étaient “le pain et l’eau de la vie” ».
    Patrick Haggiag et Jean Varela portent à la scène les réflexions de l’auteur qui, d’abord consacré par le régime soviétique, prendra ses distances avec celui-ci et sera interdit de publication. Ce texte, achevé juste avant sa mort, est l’occasion pour le metteur en scène et l’acteur de suspendre grâce au théâtre le cours ordinaire de la vie et de prendre le temps de regarder ce qui demeure.

    "Le temps n’aime que ceux qu’il a enfantés, ses enfants, ses héros, ses travailleurs. Jamais, jamais il n’aimera les enfants du temps passé et les femmes n’aiment pas les héros du temps passé et les mères n’aiment pas les enfants des autres. Tel est le temps ; tout passe et il reste."
    Vassili Grossman, Vie et Destin

  • Théâtre de la Bastille

    « Le plus souvent on mange, on boit, on flirte, on dit des sottises. C’est ça qu’on doit voir sur scène. Il faut écrire une pièce où les gens vont, viennent, dînent, parlent de la pluie et du beau temps, jouent au whist, non par la volonté de l’auteur, mais parce que c’est comme ça que ça se passe dans la vie réelle. »
    Conversation de Anton Tchekhov avec le poète Serge Gorodetsk.

    Après le beau succès du Misanthrope au Théâtre de la Bastille (automne 2014) et les deux années de tournée qui ont suivi, Thibault Perrenoud revient présenter La Mouette avec la même équipe.

    Travaillant à partir d’une nouvelle traduction et adaptation proposée par Clément Camar-Mercier, Thibault Perrenoud interroge les modulations des mots, leurs répétitions et les contorsions des phrases. Dans cette version, ce qui pouvait être dit ou non dans la Russie du XIXe sera repensé à l’aune des possibles et des interdits de notre époque.
    Toutes les grandes pièces de Tchekhov s’articulent dans une écriture musicale proche de la sonate. Les thèmes se répondent, s’entrechoquent, font échos ou résonnent en contrepoint d’un bourdon lancinant. Le titre donne immédiatement le ton, faisant clairement sonner le mode mineur de la pièce : tchaïka (la mouette), évoque le verbe tchaïat (espérer vaguement). Mais le mot poustiaki (balivernes, bêtises, du vent...), revenant lui aussi comme un leitmotiv dans la bouche des protagonistes, balaie le vague espoir précieusement enchâssé dans le titre. Ce dernier mot condense à lui seul ce symptôme de la modernité naissante que Tchekhov dénonce : l’évitement des problèmes, des angoisses de la vie par un usage pernicieux du langage. « Parlons de rien, cela vaut mieux », semblent toujours proférer les personnages, « mais parlons quand même, nous n’avons pas le choix ». Poustiaki, c’est le diagnostic clinique de Tchekhov sur son époque et l’annonce de la pandémie à venir dévorant la nôtre.
    Dans une disposition tri-frontale de plain-pied, les acteurs se réunissent donc pour assister à la représentation de la pièce mise en scène par Treplev : « Ça commence bientôt. Regardez : le théâtre. Voilà le théâtre. Il ne faut pas grand chose, n’est-ce-pas : un espace. Un lieu vide. Je n’aime plus les décors, ni les costumes, d’ailleurs. C’est très surfait. Non ! Il faut juste le lac... Et la lune, la lune comme lever de rideau... ». Treplev, La Mouette, Acte I.
    Spectateurs et acteurs sont les témoins de cette tentative avortée. De l’interruption violente de cette représentation d’inspiration symboliste naît l’opportunité unique d’explorer toute la profondeur de cette vertigineuse mise en abîme.
    Dans cette version de La Mouette, les prénoms russes trouvent leurs équivalents français. Affranchis de toute forme d’exotisme, de toute facilité de divertissement, nous entendons résonner au plus profond de nous-mêmes le propos de Tchekhov : "On exige du héros, de l’héroïsme, qu’ils produisent des effets scéniques. Pourtant, dans la vie, ce n’est pas à tout bout de champ qu’on se tire une balle, qu’on se pend, qu’on déclare sa flamme et ce n’est pas à jet continu qu’on énonce des pensées profondes"

    C.P.

mars 2017 :

février 2017 | avril 2017

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