EPREUVE HEC SESSION 2001

Russe LV 1

Russia Blues

II y a Moscou et il y a la Russie. Toute la Russie, oubliée de tous, où Pavel Lounguine, le cinéaste de " Taxi Blues ", est allé filmer " la Noce ", prix d'interprétation collective à Cannes. Visite à la ville modèle d'un monde qui n'existe plus

Où en est la Russie après dix années de liberté ? C'est pour répondre que Lounguine a tourné " la Noce ". Pas si loin que cela, à environ 200 kilomètres au sud de la capitale, et pourtant au bout du monde. Si tout a changé à Moscou, rien ne bouge à Lipki. Rien. La ville aurait dû célébrer ses 45 années d'existence le 4 septembre, la fête a été annulée pour cause de deuil national. Lipki était une ville modèle, construite en grande partie par des prisonniers de guerre allemands. Des rues larges au milieu des bois, des statues partout, Tolstoï, Gorki, les héros du travail soviétique, un enfant sur les épaules, pointant du doigt un avenir radieux. Il n'y a pas d'avenir pour Lipki. Un présent, alors ? Même pas. Autrefois, des minibus venaient chaque matin chercher les ouvriers pour les conduire à la mine, aujourd'hui il n'y a pas une voiture, pas un magasin, pas un homme dans les rues. On aperçoit parfois quelques femmes, des enfants qui paraissent perdus, rien. Lipki était une ville modèle, mais la Russie a changé de modèle. La mairie et centre culturel est un gigantesque bâtiment orné de colonnes doriques. Vide. Dans le hall immense, des photos d'autrefois, remises de décorations, célébrations diverses. Rien d'autre. Dans un bureau, une machine à écrire des années 50, un téléviseur à écran arrondi, des fauteuils orange type comité central, des bouquets de fleurs artificielles. Dehors, les fontaines sont vides, le marbre a disparu depuis longtemps, les ampoules colorées disposées pour la fête qui n'a pas eu lieu se balancent doucement. Les responsables sourient : elles ont bien fait de les accrocher là, personne encore n'a pu les voler. Le conseil municipal est réuni pour recevoir le cinéaste qui a filmé leur ville : il n'y a que des femmes, elles s'occupent de tout, elles font vivre Lipki. Les hommes ? Ils sont partis travailler ailleurs, les laissant là, ou bien ils sont morts, cuits et recuits dans la vodka. Que des veuves, des divorcées, des abandonnées. Une communauté de femmes seules, qui célèbre aujourd'hui l'anniversaire de son maire. Ici, on dit plutôt gouverneur général, mais cela ne change rien au fait qu'elle touche 18 dollars par mois pour s'occuper de ses 11 000 administrés (mais où sont-elles, ces onze mille âmes ?). Lipki ville endormie ? Lipki ville morte, plutôt. Il ne reste plus qu'une usine de briques et la fabrique de pain. On ne sait pas comment les gens vivent, personne ne sait. Un bout de jardin, six poules, trois lapins, les champignons que l'on ramasse dans les bois (mais la saison a été mauvaise) et que l'on vend au bord d'une route défoncée, que l'on ne peut pas entretenir car en hiver le thermomètre descend jusqu'à moins 35 et de toute façon à quoi bon, personne ne va à Lipki.

On restera plus de cinq heures à table. La côtelette de Lipki (viande hachée, champignons, pavot) fait l'orgueil de la cité, et les saucisses aussi. La vodka vient de Toula, la grande ville la plus proche, à 40 kilomètres de là. Les femmes de Lipki disent à Lounguine qu'il doit venir tourner un autre film ici, que grâce à lui la vie était revenue à Lipki. Pendant le tournage, toute la journée elles étaient là, et la nuit également. Elles répétaient leurs chansons, échangeaient leurs répliques, se confondaient avec les acteurs professionnels. Au moment de Cannes, elles guettaient à la radio ou à la télévision les comptes-rendus du Festival et quand " la Noce " a reçu un prix d'interprétation collectif, elles ont cru ne jamais s'en remettre. Mais le film, elles ne l'ont pas encore vu. Il devait être projeté au soir de la fête, tout était prévu, mais maintenant on ne sait pas quand cela sera possible. Il n'y a pas de matériel de projection adéquat à Lipki... Triste à mourir, Lipki ?

Oui. Et pourtant. Quand Lounguine affirme que " la Noce " a pris sous ses yeux un tour inattendu, que la joie de vivre et le bonheur d'exister se sont emparés du film, on a peine à le croire, on se dit qu'il force la note. Mais quelques heures passées là-bas permettent de comprendre. Il y a chez ces femmes une telle force, un tel appétit de vie, une telle solidarité, qu'elles ne voient plus que leur ville est oubliée de tous, que leur monde n'existe plus aux yeux des gens de Moscou et d'ailleurs. Moscou qui pourtant revient fréquemment dans les conversations, Moscou à la santé de laquelle on boit aussi souvent que l'on boit à celle de Lipki ou de Paris. Un toast encore, le trentième, le quarantième, on ne sait plus. Lounguine : " Si nous nous demandons ce que la Russie peut offrir au monde, nous savons que ce ne peut être la technologie. Ce ne peut être non plus l'argent, il a été volé. Alors, la fête, voilà, c'est tout ce qui nous reste".

Pascal Mérigeau, Nouvel Observateur, № 1872 septembre 2000

1) Что вам кажется интересным в описании города Липки ?

2) Лунгин утверждает, что в России нет ни технологии, ни денег, но остался праздник. Считаете ли вы, что умение веселиться и радоваться жизни так важно ?

 

RUSSE TRADUCTION 1ere LANGUE

И вот, в зиму 1918 года. Город жил странною, неестественной жизнью, которая, очень возможно, уже не повторится в двадцатом столетии. За каменными стенами все квартиры были переполнены.

Бежали седоватые банкиры со своими женами, бежали талантливые дельцы, оставившие доверенных помощников в Москве, которым было поручено не терять связи с тем новым миром, который нарождался в Московском царстве, домовладельцы, покинувшие дома верным тайным приказчикам, промышленники, купцы, адвокаты, общественные деятели. Бежали журналисты, московские и петербургские, продажные и трусливые. Кокотки. Честные дамы из аристократических фамилий, их нежные дочери. Бежали секретари директоров департаментов.

В квартирах спали на диванах и стульях. Обедали огромными обществами за столами в богатых квартирах. Открылись бесчисленные магазинчики, торговавшие до глубокой ночи, кафе, где подавали кофе и где можно было купить женщину, новые театры миниатюр, на подмостках которых смешили народ все наиболее известные актеры, слетевшиеся из двух столиц, открылся знаменитый театр “Лиловый негр” и величественный, клуб “Прах” (поэты режиссеры артисты художники) на Николаевской улице. Тотчас же вышли новые газеты, и лучшие перья в России начали писать в них фельетоны и в этих фельетонах, поносить большевиков. Извозчики целыми днями возили седоков из ресторана в ресторан, и по ночам в кабаре играла струнная музыка, и в табачном дыму светились неземной красотой лица белых, закокаиненных проституток.

До самого рассвета работали игорные клубы, и в них играли личности петербургские и личности городские, играли важные и гордые немецкие лейтенанты и майоры, которых русские боялись и уважали. Играли арапы из клубов Москвы и украинско-русские помещики.

Были офицеры. И они бежали и с севера, и с запада - бывшего фронта - и все направлялись в Город, их было очень много и становилось всё больше.

М.А. БУЛГАКОВ. Белая гвардия,

TRADUCTION DE FRANÇAIS EN RUSSE

Lors de son mariage, le 14 juillet 1915, avec Ludmilla, quelques jours avant son départ pour Genève où commence sa carrière de metteur en scène de pièces en langue française, Georges Pitoëff a trente ans. Hormis trois années passées à Paris avec sa famille émigrée en France après la Révolution de 1905, c'est en Russie que se sont écoulées son enfance et son adolescence et qu'a commencé son activité d'homme de théâtre. Il est important pour la compréhension de son œuvre de metteur en scène et de décorateur de souligner que les années de sa jeunesse correspondent à une période d'un intérêt exceptionnel dans l'histoire de l'art russe : des recherches nouvelles dans toutes les sphères de l'art et spécialement en peinture et au théâtre caractérisent en effet les trente années qui précédèrent la Révolution d'Octobre.

Georges Pitoëff, né le 4 septembre 1884, est contemporain de l'avant-garde russe de la première décennie du siècle. Arménien par son père, il est d'origine russe par sa mère. Les Pitoëff appartiennent à ces dynasties de marchands qui, à la fin du XIXème siècle, exercent en Russie un pouvoir considérable aussi bien par leur fortune que par leur activité sociale et artistique.

Jacqueline JOMARON "Georges Pitoëff'- metteur en scène"